LES PUDGALAVADINS

    Partie 1

    Le Pudgalavada était une doctrine adoptée par un ensemble d'écoles bouddhistes principalement connues en tant que Vātsīputrīyas, d'après leur fondateur Vātsīputra qui vécut au troisième siècle de notre ère. Les membres étaient connus comme Pudgalavadins ("Enseignants du Pudgala", opposés au Mahayana). Ces écoles étaient très influentes et faisaient partie des quatre principales sectes bouddhistes au septième siècle. Selon Dan Lusthaus, elles furent parmi les sectes les mieux établies en Inde pendant plus d'un millier d'années.

    Il faut tenir compte du fait que dans les débuts du Bouddhisme, il arrivait que certaines personnes affichant certaines positions recevaient a posteriori un nom afin de les distinguer des traditions dominantes. A ce titre, c'est de façon un peu abusive que le courant Pudgalavada sera traité comme une "école".

    Leur centre d'études le plus influent, Valabhi University, se trouvait à Gujarat. I-tsing, qui a visité Gujarat en 670 de notre ère, indique que le centre d'études rivalisait avec celui de Nalanda.

    Les deux écoles les plus importantes étaient le Vātsīputrīya et le Sāṇmitīya. Elles avaient en commun la doctrine que la personne (pudgala) ou le Soi (ātman) est réel. Très peu de leur littérature a survécu. Cette circonstance, ajoutée à leur apparent déni de la doctrine du non-soi, a créé l'impression qu'elles étaient une minorité farfelue en marge du Bouddhisme. En fait, ils étaient dans le courant dominant. Xuanzang (600-664 de l'ère chrétienne) nous dit que grosso modo un quart de la population monastique en Inde au septième siècle était Pudgalavadin.

    L'école Pudgalavada n'a pas franchi les limites du sous-contient indien, comme elle ne s'est pas propagée en Birmanie, au Tibet, au Sri Lanka et dans les autres nations où le Bouddhisme a été diffusé. A partir des alentours du deuxième siècle de notre ère, il y a eu résurgence de l'Hindouisme en Inde, et plus tard les conquêtes musulmanes ont virtuellement éliminé le Bouddhisme de l'Inde avant le onzième siècle. C'est ainsi que disparut l'école Pudgalavada.


Partie 2

    Le bouddhisme nie l'âme hindou, jīvātman, et sa réincarnation, mais désigne un processus se poursuivant de vie en vie ; cette difficulté théorique a amené diverses solutions, et les écoles pudgalavādin en proposent une interprétation spécifique.

    Les Pudgalavadins croient en un Soi indéterminé, une sorte de Soi impermanent.

    Elles enseignaient qu'un individu n'existe pas indépendamment des cinq agrégats, ou composants qui constituent sa personnalité, et qu'il est en même temps quelque chose de plus grand que la somme de ses parties. Elles étaient sévèrement critiquées par les autres bouddhistes qui considéraient cette théorie proche de la théorie de l'atman qu'ils rejetaient, le Soi universel suprême.

    Pratiquement, tout ce dont nous disposons, c'est d'une analyse historique, et d'après cela, les adeptes du Pudgalavada et du Mahāsāṃghika sont sur un pied d'égalité avec les Theravadistes pour se réclamer du bouddhisme originel.

    Les Pudgalavadins introduisent le parallèle suivant, où les cinq agrégats représentent le combustible et le pudgala représente le feu : les personnes sont conçues sur la base des agrégats comme le feu est conçu en s'appuyant sur le combustible, sans être en essence autre ou identique au combustible.

    Le Abhidharmakosha montre comment les Pudgalavadins expliquèrent leur théorie : Le feu existe tant qu'il y a du combustible, mais il n'est pas semblable au combustible et il a des propriétés que le combustible n'a pas. Les deux co-existent et le combustible (les agrégats) est le soutien du feu (pudgala), et ainsi il n'est pas semblable mais pas entièrement différent. Pour les Pudgalavadins, si on dit que la personne est identique aux agrégats, c'est comme de dire que le feu et le combustible sont une même chose, ce qui est une erreur. Tandis que si on dit que le feu et le combustible sont totalement différents, c'est comme de dire que le feu ne dépend pas du combustible, une seconde erreur. Ainsi ils ont pris un chemin médian et ont défendu l'idée d'une personne qui n'est ni identique aux agrégats ni différente d'eux. La raison pour laquelle ils ont cherché à réfuter les vues des autres bouddhistes qui disaient que les agrégats et la personne étaient semblables, c'est qu'ils défendaient l'idée que dans cette perspective, à la mort, quand les agrégats seraient détruits, la personne serait également détruite et ne renaîtrait pas, et aussi parce que cela contredisait le Bouddha qui déclara que "le porteur de la charge" existe.

    Selon les Pudgalavadins, s'il y a continuité entre les vies successives, il doit y avoir le possesseur de cette continuité ainsi que ce qui individualise cette personne par rapport aux autres et est le sujet d'expériences : ceci est la personne.

    Le pudgala s'approprie et soutient un corps pendant une certaine durée.

    Qui plus est, pour les Pudgalavadins, la pratique bouddhiste est incohérente sans l'idée de progrès, ou s'il n'y a personne qui souffre, s'il n'y a personne qui récolte les fruits de ses actions dans cette vie ou dans une autre. La notion de personne (pudgala) est donc une nécessité.
    Selon Lusthauss, pour les Pudgalavadins, les autres bouddhistes taisent le mot "pudgala" tout en le présupposent dans leurs doctrines.

    Il ne faut pas perdre de vue que la souffrance (dukkha) naît du fait que la croyance au Soi est en contradiction avec les caractéristiques de l'existence conditionnée (impersonnalité, impermanence, insatisfaction)

Bien que les Pudgalavadins n'existent plus en termes de lignée monastique, leurs doctrines restent très populaires aujourd'hui. Sur la base de sondages et enquêtes réalisés par des bouddhistes dans des forums de discussion, nous savons qu'un pourcentage important de bouddhistes modernes soutient des vues ressortissant du Pudgalavada tout en se qualifiant d'adeptes du Theravada ou du Mahayana.

    Mentionnons également que d'après Thiên Châu, il semblerait que les Pudagalavadins voyaient dans le nirvna un « royaume transcendental » et une « existence dans l'au-delà ».

    "S'il n'y a pas de soi, qu'est-ce qui peut justifier une vie spirituelle ?"

    De nombreux livres tentent de répondre à ces questions, mais si vous examinez le canon Pali - les plus anciens enseignements du Bouddha existants - vous ne les trouverez abordées nulle part. En fait, l'unique endroit où on a demandé franchement au Bouddha s'il y avait un soi ou non, il a refusé de répondre". Thanissaro Bhikkhu.

    Donnons pour conclure la parole à Nagarjuna, ce célèbre philosophe bouddhiste qui vécut autour des deuxième ou troisième siècle de l'ère chrétienne. Le Sage a analysé clairement dans son Madhyamaka que dire qu'il y a un Soi ou qu'il n'y a pas de Soi sont toutes deux des affirmations fausses :
    "Il y a une énorme malentendu au sujet du "courant de pensée" dans les échanges académiques bouddhistes liés à la notion d'Anatman / Anatta. Ainsi, cela a inévitablement causé des querelles gênantes et inutiles sur le sujet de savoir s'il y a renaissance ou non. Ceci est principalement le fait d'une compréhension incomplète due au renvoi à des enseignements incomplets comme références. Si ces savants ou bouddhistes conventionnels avaient accès au Canon Mahayana, spécialement le chinois, ils ne devraient pas avoir ce doute. Le courant de pensées ne cesse jamais, que l'on soit vivant ou mort. Néanmoins, le flot de pensées n'est jamais un courant à la manière d'un fleuve rempli d'eau. Il faut plutôt, pour illustrer ce flot, se représenter les ampoules qui clignotent sur l'arbre de Noël ; elles clignotent si rapidement qu'elles vous donnent l'illusion de lumières continues de bout en bout, comme un rayon de lumière continue".