L'IMPERMANENCE
par Philippe Cornu (extrait)

La
mort est une rupture, avons-nous dit. Rupture qui nous renvoie
immédiatement au terme antinomique "continuité". La mort
est d'autant plus ressentie comme une rupture tragique, cruelle et
inique que nous avons l'espoir ou le sentiment de la continuité, de
la prolongation de la vie, bref de la permanence. Pourtant, à bien y
regarder, la "permanence" n'est guère une caractéristique
de l'existence : elle n'est qu'une impression trompeuse liée à une
tentative toujours renouvelée d'éviter la souffrance du
changement.
C'est précisément le changement qui est omniprésent,
tant en nous que dans tout ce qui nous entoure : notre corps change
chaque jour, nos sentiments et nos humeurs varient à chaque instant
tandis qu'à l'extérieur les saisons passent, le temps change, les
enfants grandissent, les adultes vieillissent, les uns naissent
tandis que d'autres meurent. La vie est un foisonnement d'événements
transitoires, un bouillonnement d'impermanence. Et même ce qui nous
semble le plus stable, la pierre, la montagne, la terre, le soleil,
tout ce qui compose l'univers, de l'infiniment petit à l'infiniment
grand, tout est sujet au changement et à l'impermanence.
Parmi
les trois types de souffrance, identifiés par le Bouddha dans son
enseignement des Quatre Nobles Vérités, figure la souffrance du
changement. Or il y a précisément souffrance parce qu'il y a refus,
négation de l'évidence de l'impermanence. Tout se passe comme si
nous ne voulions pas voir ce fait de l'existence, et s'il nous
angoisse tant, n'est-ce pas parce qu'il remet en cause ce que nous
croyons être le fondement de notre vie, nos buts immédiats et
matériels, mais aussi notre sécurité, notre bonheur, notre pouvoir
et notre désir d'éternité.
Tout être humain recherche au fond
de lui-même le bonheur, c'est indéniable. La question est : s'y
prend-il comme il faut ? La réponse du bouddhisme est non. Ce n'est
pas en refusant la réalité ni en se lançant éperdument dans la
conquête du monde matériel que l'Homme échappera à la brièveté
de sa destinée. Cette attitude orgueilleuse est au contraire
génératrice de davantage de souffrance que de bonheur : ce désir
immédiat de sécurité et de permanence n'est que le reflet d'un
souci égotique de bonheur personnel et, paradoxalement, il est le
fruit d'une vue matérialiste à très court terme. Dans celle-ci, ni
le bonheur d'autrui ni le souci d'un avenir spirituel ne semblent
présents. Pour le bouddhisme, c'est l'ignorance fondamentale de
notre vraie nature qui est à l'origine de cette vision illusoire
génératrice de tourments sans fin.
Pour vaincre cette ignorance,
l'acceptation de l'impermanence est une première étape.
